Extrait du conte « L’Oiseau bleu » (1697), Madame d’Aulnoy (1650-1705):
[…] « Quoi ! Ce barbare est devenu sourd à ma voix ? disoit-elle. Il n’entend plus sa chère Florine ! Ah ! quelle foiblesse de l’aimer encore ! Que je mérite bien les marques de mépris qu’il me donne ! » Mais elle y pensoit inutilement, elle ne pouvoit se guérir de sa tendresse. Il n’y avoit plus qu’un œuf dans son sac dont elle dût espérer du secours ; elle le cassa, il en sortit un pâté de six oiseaux qui étoient bardés, cuits, et fort bien apprêtés ; avec cela ils chantoient merveilleusement bien, disoient la bonne aventure, et savoient mieux la médecine qu’Esculape. La reine resta charmée d’une chose si admirable ; elle fut avec son pâté parlant dans l’antichambre de Truitonne.
Comme elle attendoit qu’elle passât, un des valets de chambre du roi s’approcha d’elle et lui dit : « Ma Mie-Souillon, savez-vous bien que, si le roi ne prenoit pas de l’opium pour dormir, vous l’étourdiriez assurément ? car vous jasez la nuit d’une manière surprenante. » Florine ne s’étonna plus de ce qu’il ne l’avoit pas entendue ; elle fouilla dans son sac, et lui dit : « Je crains si peu d’interrompre le repos du roi que, si vous voulez ne lui point donner d’opium ce soir, en cas que je couche dans ce même cabinet, toutes ces perles et tous ces diamans seront pour vous. » Le valet de chambre y consentit, et lui en donna sa parole.
A quelque moment de là Truitonne vint ; elle aperçut la reine avec son pâté, qui feignoit de le vouloir manger : « Que fais-tu là, Mie-Souillon ? lui dit-elle. — Madame, répliqua Florine, je mange des astrologues, des musiciens et des médecins. » En même temps tous les oiseaux se mettent à chanter plus mélodieusement que des sirènes ; puis ils s’écrièrent : « Donnez la pièce blanche, et nous vous dirons votre bonne aventure. » Un canard, qui dominoit, dit plus haut que les autres : « Can, can, can, je suis médecin, je guéris de tous les maux et de toute sorte de folie, hormis de celle d’amour. » Truitonne, plus surprise de tant de merveilles qu’elle l’eût été de ses jours, jura : « Par la vertuchou, voilà un excellent pâté ! je veux l’avoir. Çà, çà, Mie-Souillon, que t’en donnerois-je ? — Le prix ordinaire, dit-elle : coucher dans le Cabinet des échos, et rien davantage. — Tiens, dit généreusement Truitonne (car elle étoit de belle humeur par l’acquisition d’un tel pâté), tu en auras une pistole. » Florine, plus contente qu’elle eût encore été, parce qu’elle espéroit que le roi l’entendroit, se retira en la remerciant. […]
Aulnoy, Marie-Catherine Le Jumel de Barneville, baronne d’. Les contes des fées, ou les Fées à la mode : contes choisis publiés en deux volumes. T1 / Mme d’Aulnoy ; avec une préface par M. de Lescure. Paris: Librairie des bibliophiles, 1882.
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